Accroître la résilience des terres par des pratiques agricoles régénératives

Article 10 min

Trois producteurs laitiers commentent sur des pratiques qu'ils utilisent pour s'adapter aux changements climatiques.

Par DFC - PLC, Équipe Communications

Points saillants

  • Des producteurs de la Colombie-Britannique qui possèdent peu de terrain en culture, des producteurs de la Saskatchewan qui ont reconsidéré leurs pratiques culturales après deux années pluvieuses et des producteurs du Québec qui aiment les arbres.
  • Trois climats différents, différents types de sols, diverses stratégies adoptées dans une même poursuite d'améliorer la santé des sols.

Les agriculteurs affrontent des réalités différentes sur leurs fermes et peuvent adopter des pratiques différentes dans leur parcours vers une plus grande durabilité. Mais ils partagent des valeurs communes comme améliorer la santé des sols et des cultures qui contribuent à optimiser la santé de leurs vaches. 

Nous avons demandé à trois producteurs laitiers de nous parler de leurs pratiques culturales, les changements qu’ils ont apportés au fil des ans et les résultantes qu’ils ont observé dans leurs champs et leurs pâturages. 

  • Erin de la Saskatchewan s'est tourné vers l'agriculture régénérative pour augmenter la résilience de leur ferme de 4e génération à la suite des fortes pluies en 2010. (La ferme produit du lait, bœuf, porc, poulet et cultures). 
  • Matt de la Colombie-Britannique fait la rotation des cultures et il maintient des racines vivantes tout au long de l’année. Ses cultures alimentent les vaches sur la ferme de 2e génération. 
  • Alain du Québec a adopté l’agriculture biologique et nourrit ses vaches à l'herbe. La ferme de 5e génération comprend également une érablière et des pommiers. 
Photo de profil: Erin, Matt et Alain
De gauche à droite: Erin, Matt et Alain

Comment a commencé votre intérêt pour les pratiques agricoles régénératrices? Que faites-vous présentement pour améliorer vos sols et rendre votre ferme plus durable?  

Erin : Nous pratiquions déjà la rotation des cultures de maïs et d'orge pour l'ensilage. Après avoir reçu près de quatre pieds de pluie en 2010, nous avons envisagé de diversifier nos cultures pour obtenir une récolte malgré des conditions très humides. Comme l'avoine est plus résistante aux pluies plus abondantes au début de la saison, ça a été concluant pour nous. Nous avons alors ajouté d'autres cultures de couverture dans nos cultures, comme les fèves, les pois et d'autres légumineuses.  La variété de plantes aide aux niveaux de nutriments du sol et offre des protéines aux vaches. 

Matt : Ce que je retiens, c'est que moins on travaille la terre, mieux c'est. Nous faisons des rotations de cultures, nous plantons des cultures de couverture et nous réduisons le travail du sol au maximum, car moins la terre est travaillée, mieux c'est pour le sol. Et ça réduit aussi le nombre d’heures d'utilisation de tracteurs et de carburant, donc une économie d'argent et des émissions. 

Nous avons quatre champs, deux sur lesquels poussent du dactyle pelotonné, une vivace, pendant quatre ans tandis que les deux autres cultivent du maïs. Puis nous alternons - c'est la rotation des cultures. 

Alain : On vise à ne pas déranger le sol sur notre ferme. On veut des prairies longue durée, cinq, six ans ou plus, avec diverses plantes fourragères et des légumineuses. On fait du sursemis des légumineuses et graminées, un peu comme les gens le font pour leur pelouse. Le sursemis aide à régénérer les prairies et à avoir des pâturages qui offrent un bon rendement pour nos vaches nourries à l'herbe. Notre approche, c’est d’aller à la vase, et donc de nourrir nos vaches avec des pâturages et des fourrages. 

Erin : Nous plantons également du trèfle, des choux, des navets et des radis. Au fil des ans, nous avons peaufiné nos mélanges de cultures pour cultiver les protéines dont nos vaches et nos génisses ont besoin, au lieu de les acheter à l'extérieur (comme les suppléments de tourteau de canola). Pour nous, la rotation des cultures pour favoriser la santé des sols, ce n’est pas en termes de cultures spécifiques; nous pensons à alterner entre les plantes annuelles, bisannuelles et vivaces pour contrôler le rapport champignons/bactéries et les mauvaises herbes.  

Alain : Sur certains champs où le sol est plus léger ou plus sablonneux, nous plantons des céréales à l'automne. C’est pour donner un couvert végétal au sol, tout en laissant la prairie naturelle continuer de capter l'azote. Dans le passé, nous avons également essayé la culture intercalaire, qui alternait plusieurs rangées de maïs avec des rangées de trèfle, avec du blé l'année suivante, une autre façon de garder un sol fertile. 

Matt : Pendant les quatre années où nous plantons du maïs, à l'automne nous plantons des cultures de couverture composées à 50 % de ray-grass et à 50 % de blé d'hiver, qui pousse en mars et est récolté en mai. En mai, nous plantons la prochaine récolte de maïs. Il y a donc toujours quelque chose qui pousse et recouvre le sol, avec des racines vivantes sous terre. Le fumier est épandu pour aider à donner des éléments nutritifs pour faire pousser toutes nos cultures, mais nous avons quand même besoin de l'aide d'engrais supplémentaires, en particulier pour démarrer une culture lorsque le temps chaud arrive, et parce que nous avons très peu de terres – environ 80 acres pour nourrir 90 vaches. 

Parlez-nous de défis que vous avez rencontré et comment vous y avez fait face?   

Matt : Les trois dernières années ont été très difficiles avec une année d'inondation, suivie de deux étés de sécheresse. Les cultures ne poussent pas si bien dans un sol sec. Nous misons sur la rotation des cultures et le semis direct pour contribuer à la santé du sol, à de meilleures récoltes et à renforcer notre résilience au fil du temps. Depuis que je suis arrivé ici, j'ai remarqué que les cultures de couverture se sont améliorées, mais pas le maïs. 

Erin : En 2010, nous avons reçu beaucoup de pluie pendant deux années consécutives. De vastes étendues de champs étaient inondées et ont noyé les cultures que nous avions semées. Nous avions quelques « îlots » où les cultures ont survécu. Nous avons donc voulu cultiver autrement pour être plus résistants aux conditions humides. 

Il faut du temps pour apprendre ce qui fonctionne sur une ferme spécifique. Nous avons beaucoup appris et sommes devenus plus informés et plus intentionnels dans nos actions pour adopter des pratiques d'agriculture régénérative au cours des 5-6 dernières années, même si nous y travaillons depuis 10 ans. Les premières années ont été une courbe d'apprentissage plus abrupte. Et maintenant, nous nous concentrons sur les besoins du sol à long terme plutôt que sur les rendements annuels d’une culture. 

Alain : Lorsqu’on s’est lancé dans le bio, on avait déjà adopté plusieurs pratiques reconnues par les certifications biologiques. On a commencé à se poser plusieurs des questions, à être curieux et vouloir trouver comment être plus durable. De fil en aiguille, on a adopté le bio, ensuite les vaches nourries à l’herbe, et l’agriculture régénératrice.  

Matt : L'agriculture est le travail de toute une vie – de plusieurs vies en fait. Nous poursuivons le travail de la génération précédente, nous essayons de nouvelles choses, et nous espérons rendre notre ferme plus résiliente. Je suis parfaitement conscient que le monde et le climat changent. Jusqu'à récemment, les agriculteurs de la Colombie-Britannique disaient pouvoir compter sur quelques semaines de pluie en été pour assurer le succès des cultures. Après deux années de sécheresse, je ne suis pas si sûr qu’on pourra s’y fier à l’avenir. C'est pourquoi nous espérons qu’éviter le labour, nous aidera à être plus durables à l'avenir. Nous devrons probablement ajouter d'autres stratégies au cours des cinq prochaines années – peut-être même l'irrigation. 

Erin : Un autre défi que nous avons chez nous, ce sont des sols lourds, et donc on doit gérer le risque de compactage du sol. Nous avons choisi de planter des cultures à racines pivotantes, car les racines pivotantes creusent dans le sol compacté, et aident à l'assouplir. Et nous avons vu des améliorations dans le sol beaucoup plus rapidement que nous ne le pensions. 

Alain : On a toujours eu une approche d’aller vers la base, de travailler avec la nature, de laisser le sol se regénérer. C’est quand même quelque chose de voir les engrais verts (des plantes non récoltées) et le fumier sont bénéfiques pour le sol.  On trouve que notre système est plus résilient aussi.  Peu importe quelles pratiques on choisit, il reste que l’agriculture, c’est un travail de longue haleine : on cherche toujours à essayer quelque chose de nouveau et de continuer les techniques qui sont prouvées. On apprend toujours.   

Avez-vous remarqué des différences dans vos champs après avoir changé vos pratiques culturales?   

Erin : Oui, nous avons remarqué des changements sur nos terres après de nombreuses années sans labour, de couverts végétaux et d'autres pratiques qui régénèrent le sol. Avec le temps, on voit que la matière organique du sol a augmenté, et on a aussi une meilleure infiltration de l'eau de pluie. Certains indicateurs de santé du sol, comme la matière organique, peuvent augmenter plus rapidement que nous ne le pensions, que les gens ne le pensent généralement. 

Matt : Nous avions remarqué que le sol s'améliorait au fil des ans avec notre stratégie de rotation des cultures et de non-labour. On a vu de meilleurs rendements de nos cultures de couverture. Mais ensuite, nous avons eu l'inondation, suivie de sécheresse. C’est un dur revers avec ses conséquences. 

Erin : Nous avons eu plus de chance. Cultiver des légumineuses avec notre ensilage et la rotation des cultures signifie que nous avons besoin de moins de fertilisants synthétiques. Nous avons ainsi une ferme plus résiliente. En 2021, on a eu une année très sèche dans les Prairies, et nous avons quand même pu obtenir environ les deux tiers de nos rendements. Mais je ne sais pas ce qui se serait passé si nous avions eu deux années sèches d'affilée. 

Alain : Nous nous concentrons sur le maintien de nos champs en herbe et fourrages, avec sursemis de légumineuses. Lorsque c’est bien implanté, on a une grande variété de nutriments, on garde la vie dans le sol. C'est incroyable comment les engrais verts (plantes non récoltées) sont très profitables au sol. Il se régénère lui-même et s'améliore avec le temps. Personnellement, je pense que les prairies et les herbages sont sous-estimés et qu'ils sont meilleurs pour la biodiversité que les champs cultivés. 

Matt : Notre espoir actuel n'est pas d'améliorer le sol, mais plutôt de renforcer notre résilience aux conditions climatiques changeantes – de s'adapter au climat. Comme d'autres, nous espérons faire plus avec moins pour être plus durables à l'avenir. 

Comment encouragez-vous la biodiversité chez vous?  

Erin : Nous avons beaucoup de vers de terre sur notre ferme et nous pouvons créer du compost à partir des sous-produits organiques qu'ils génèrent. Quelques zones humides sur et autour de notre ferme abritent des coyotes, des cerfs, des lapins, des faucons. Les troupeaux de wapitis se déplacent également à travers la Saskatchewan et ils sont attirés par nos récoltes, alors notre défi est de garder nos récoltes pour nos propres animaux. Nous voyons aussi des animaux qu'on ne voyait pas avant. 

Matt : Nous avons très peu de terrains ici qui sont les champs où pousse la nourrir les animaux. Les propriétés voisines sont plus proches des montagnes et ont plus d'animaux sauvages. Notre biodiversité, on la voit dans le sol où poussent les vivaces. Maintenir des racines vivantes toute l'année, c’est ce qui permet à la vie souterraine de prospérer.   

Alain : Sur notre terre, on a une érablière, donc beaucoup d’arbres. On essaie de créer beaucoup de divers habitats car la biodiversité, c’est une toile de diverses espèces qu’on veut encourager. Nous avons ajouté des pommiers à la ferme récemment, on a des prairies naturelles, des bandes fleuries et des bandes riveraines élargies autour du ruisseau. C’est un effort de plusieurs propriétaires pour protéger les berbes du Ruisseau.  On plante des arbres tous les ans. On a plusieurs kilomètres de haies déjà.  On a installé des nichoirs et des fleurs pour les pollinisateurs. 

Une prairie qui n’est pas travaillée attire des rongeurs et autres proies, qui attirent des prédateurs : oiseaux et renards. Les renards ne dérangent pas les vaches. On se lance dans l’agroforesterie, ce qui veut dire d’avoir plus d’arbres autour et dans les pâturages. Les arbres apportent beaucoup au sol – des champignons aux insectes. Des oiseaux qui mangent les insectes et les mouches, ça aide les vaches -elles sont moins incommodées par les insectes, et elles ont de l’ombre, etc.    

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